La relation entre le cerveau, la mémoire et l'apprentissage des langues
Quelle est la meilleure façon d'apprendre des langues naturellement ?
Chaque jour, nous sommes exposés à une foule de nouvelles informations qui peuvent nécessiter ou non d'être mémorisées. En fait, nous le faisons tout le temps lorsque nous rencontrons de nouveaux amis, en nous souvenant de leurs visages et d'autres informations leur concernant.
Après un certain niveau d'expérience en matière d'apprentissage des langues, vous découvrirez rapidement que les langues sont comme un paysage social. Sauf qu'au lieu d'amis interconnectés, nous obtenons des mots interconnectés. En fait, cette façon de concevoir les langues rend les choses beaucoup plus amusantes à mesure qu'on se familiarise avec toutes les données.
Puisque les langues sont naturelles et que tous les humains sont capables de les employer naturellement, il est logique de les apprendre de manière naturelle. En fait, des études ont révélé que les mots sont beaucoup plus faciles à reconnaître dans leur forme écrite si nous les connaissons déjà sous forme orale. Rappelez-vous que vous connaissez déjà bien les mots que vous utilisez pour parler. L'écriture n'est qu'un moyen de transcription et il est beaucoup plus facile de convertir ce que vous savez déjà en forme écrite plutôt que d'essayer de mémoriser quelque chose seulement à partir de sa forme écrite.
Essayer d'apprendre une langue uniquement à partir de son écriture peut être une tâche vraiment intimidante. Apprendre à lire une langue que vous parlez déjà n'est pas difficile du tout. Alors ne vous torturez pas à essayer d'apprendre à lire un script compliqué comme le chinois si vous ne savez pas encore parler la langue. Ce n'est pas aussi simple que : un mot = un caractère. Et il en va de même avec l'anglais, car il arrive parfois que de nombreux mots composent une idée, comme "get over it".
Quelle est la relation entre la mémoire et le sommeil ? Notre cerveau accumule des expériences tout au long de la journée et les enregistre sous forme de souvenirs. Si ces souvenirs sont trop banals, comme le repas du midi, ils se perdent parmi tous les autres et il nous est difficile de nous remémorer un souvenir spécifique. Plus important encore, ces souvenirs ne laissent aucun impact ou impression sur nous. Cependant, un événement majeur comme une naissance ou un accident génère évidemment un impact plus important. Nous attachons de l'importance à ces événements.
Étant donné que notre cerveau enregistre constamment notre vie quotidienne, il recueille beaucoup d'informations inutiles. Comme cette information est à la fois banale et sans importance pour nous, notre cerveau dispose d'un mécanisme intégré pour y faire face. En d'autres termes, nos cerveaux jettent les ordures tous les jours. Techniquement parlant, nos souvenirs sont des connexions entre nos cellules nerveuses et ces connexions perdent de leur force si elles ne sont pas rafraîchies ou réutilisées.
Pendant nos cycles de sommeil, notre cerveau passe en revue tous les événements de la journée. Si vous n'évoquez pas ces événements le lendemain, la mémoire s'affaiblit. Après trois cycles de sommeil, considérez un souvenir disparu si vous n'y avez pas repensé. Certains souvenirs peuvent être conservés plus longtemps parce que vous les avez peut-être mieux ancrés la première fois que vous les avez vécus. Une ancre relie votre mémoire à l'un de vos sens ou à un autre souvenir préexistant. Pendant le processus de votre apprentissage d'une langue, cela ne se produira que plus tard dans votre progression. Alors que pouvez-vous faire au début ?
Beaucoup d'experts en mémoire affirment que le fait de raconter des histoires extravagantes sur certaines choses qu'ils apprennent les aide à créer un point d'ancrage là où il n'y en aurait pas autrement. Certains experts en mémoire imaginent une maison qu'ils connaissent bien dans leur esprit et se promènent dans cette maison dans un ordre préétabli. Ensuite, tous les objets qu'ils mémorisent sont placés dans cette maison à des endroits précis. Pour se les remémorer, ils se promènent dans la maison.
Personnellement, imaginer des histoires extravagantes pour mémoriser des choses n'a pas fonctionné pour moi. J'ai trouvé la méthode de la maison très efficace, mais elle est différente de l'utilisation spécifique que j'en fais. Cette méthode est une forme de "carte mémorielle", ou mémoire spatiale, et pour moi personnellement, je préfère utiliser des cartes du monde réel. Cela vient probablement de ma capacité à me souvenir des cartes, donc si vous le pouvez, servez-vous de cette méthode ! Par contre, ce n'est pas pour tout le monde. Pour moi, cela fonctionne vraiment très bien pour apprendre plusieurs langues.
Qu'est-ce que les langues et les cartes ont en commun ? Tout peut être cartographié, et les langues sont naturellement parlées dans des lieux et réparties dans le temps. Ces changements dans la prononciation des mots créent l'histoire des mots, ou ce qu'on appelle l'étymologie. En comprenant comment la prononciation change au fil du temps et où les populations ont migré, il est assez facile de se souvenir d'un grand nombre de données avec une simple carte mémorielle. C'est ainsi que "j'ancre" les nouvelles langues que j'apprends. Je suis confronté à un défi beaucoup plus important lorsque j'essaie une nouvelle famille de langues. Je cherche donc des étymologies encore plus profondes et plus anciennes qui sont partagées entre les familles de langues, n'importe quoi pour m'aider à établir un lien avec un vocabulaire de base. Certains mots comme "I" (fr : je), du vieil anglais "ic", et "me/mine" (fr : moi, à moi) partagent les mêmes racines avec les langues du monde entier, de l'islandais (indo-européen) au finnois (ouralien), au japonais (altaïque ?) et au samoan (austronésien).
Je ne confonds pas les langues parce que, dans mon esprit, chaque langue sonne de façon unique et a son propre accent et ses propres manières. Je peux aussi utiliser ma carte mémorielle pour me positionner dans le lieu où la langue est parlée et m'imaginer entouré par les gens de ce pays. Cela m'aide à m'adapter à leurs expressions et à leurs manières, mais surtout, cela élimine les interférences avec d'autres langues. Et quand je "m'installe" mentalement de cette façon, la confusion d'un mot avec celui d'une autre langue ne se produit tout simplement pas.
Quand j'ai parlé d'une façon spécifique et que je l'ai fait plusieurs jours de suite, je sais que les connexions dans ma tête se renforcent et s'enracinent. Ne pas les utiliser trois jours de suite crée une perte totale, mais les utiliser activement (et pas seulement écouter passivement) trois jours de suite crée un souvenir qui dure toute la vie. Vous n'avez alors plus besoin de points d'ancrage et le souvenir fait partie de vous.
Vous aurez remarqué que la méthode d'entraînement de Glossika propose une traduction pour chaque phrase, et en effet, nous utilisons la traduction comme l'un des points d'ancrage majeurs. De cette façon 1) la traduction agit comme une ancre, 2) vous avez une entrée intelligible, 3) vous commencez facilement à reconnaître les schémas. La reconnaissance des schémas est la compétence la plus importante nécessaire pour apprendre une langue étrangère.
Beaucoup de gens pensent que la traduction doit être évitée à tout prix lors de l'apprentissage d'une langue étrangère. Cependant, d'après les milliers de tests que j'ai donnés à mes élèves sur une période de dix ans, j'ai découvert que seulement utiliser la langue étrangère crée un faux sentiment de compréhension et que l'on a beaucoup plus de chances de se faire du mal à long terme en se créant de fausses réalités.
J'ai mis en place un test spécifique. J'ai demandé à mes élèves de traduire dans leur langue maternelle (le chinois) ce qu'ils m'ont entendu dire. Il s'agissait d'étudiants qui pouvaient déjà tenir une conversation en anglais. J'ai trouvé les résultats plutôt choquants. Les phrases avec certaines combinaisons de mots ou phrases spécifiques ont causé de nombreux malentendus, comme "pourrait aussi bien" ou "ne peut pas le faire avant", ont donné lieu à beaucoup de suppositions et à des réponses plutôt incorrectes.
Si vous supposez que vous pouvez penser et opérer dans une langue étrangère sans être capable de traduire ce qui est dit, vous vous fourvoyez dans une compréhension erronée. Entraînez-vous à tout traduire dans la langue étrangère. Il s'agit là encore d'une ancre que vous pourrez éventuellement abandonner lorsque vous serez très à l'aise avec la nouvelle langue.
Enfin, notre cerveau est vraiment une éponge. Mais il faut créer la structure de l'éponge. Mémoriser le vocabulaire dans une langue que vous ne connaissez pas, c'est comme ajouter de l'eau à une éponge qui n'a pas de structure : tout s'écoule.
Pour créer une structure dans une langue étrangère, ou "éponge", il faut créer des phrases naturelles et innées. Vous commencez par des structures de phrases avec un vocabulaire de base assez facile à maîtriser et commencez à bâtir à partir de là. Avec moins de 100 mots, vous pouvez créer des milliers de phrases et les maîtriser parfaitement, une par une, en ajoutant de plus en plus de vocabulaire. Bientôt, vous parlez avec une aisance naturelle et vous disposez d'un vocabulaire de plusieurs milliers de mots.
Si vous apprenez des mots de vocabulaire séparément, vous devez commencer immédiatement à les utiliser dans des phrases pertinentes. De préférence des phrases que vous voulez utiliser. Si vous ne pouvez pas formuler une phrase, alors le vocabulaire appris est inutile.
Le vocabulaire ne doit pas être mémorisé au hasard parce qu'il est lui-même est variable. Les mots que nous utilisons dans notre langue ne sont qu'un outil pour transmettre un message plus grand, et chaque langue utilise des mots différents pour transmettre le même message. Cherchez le message, prêtez attention aux mots spécifiques utilisés, puis apprenez ces mots. Mémoriser les mots d'une liste ne vous aidera pas dans cette tâche.
Récemment, un ami m'a montré sa liste de mots pour apprendre le chinois, en utilisant une sorte de programme de flashcards à répétition espacée où il pouvait télécharger un "deck". J'ai pensé que c'était une bonne idée jusqu'à ce que je voie les mots qu'il essayait d'apprendre. J'ai essayé de lui expliquer que l'apprentissage de ces caractères hors contexte sur ses cartes l'induiraient en erreur et le conduiraient à développer une compréhension erronée, surtout en ce qui concerne les caractères individuels. Cela n'aurait fonctionné que s'il s'était sagit d'une révision d'un texte qu'il aurait lu, où tout le vocabulaire serait apparu dans de vraies phrases et une histoire racontée, mais ce n'était pas le cas. Sur le long terme, j'ai pu voir que cela lui ferait du tort et qu'il faudrait deux fois plus de temps pour tout réapprendre. Sur le court terme, il y avait certainement un sentiment de progrès et de maîtrise et il en était heureux. J'ai donc laissé tomber.
Article de Michael Campbell,
traduit par Clément Hattiger.